Jean d’Ormesson est mort

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Jean d’Ormesson est mort

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L’écrivain et académicien Jean d’Ormesson est mort

Jean d’Ormesson est mort d’une crise cardiaque dans la nuit de lundi à mardi, à l’âge de 92 ans, a annoncé sa famille à l’Agence France Presse.


Jean d’Ormesson, chez lui, en 2016.

Tout en étant obligé de s’inscrire dans la lignée des comtes d’Ormesson, il s’était fait son propre nom, en forme de sourire, qui reflétait bien son caractère facétieux : Jean d’O. Plus il vieillissait, plus Jean d’Ormesson – qui est mort dans la nuit du 4 au 5 décembre à l’âge de 92 ans – était charmant et charmeur, avec son œil si bleu et son air à jamais espiègle. « Il a toujours dit qu’il partirait sans avoir tout dit et c’est aujourd’hui. Il nous laisse de merveilleux livres », a déclaré sa fille, Héloïse d’Ormesson. Il pensait avec raison que la gaieté est une politesse et voulait mériter un qualificatif presque perdu, « dans un siècle où règne le ressentiment » : délicieux.


Délicieux, il l’était. Bon écrivain, aussi. Mais, admirateur des grands auteurs, il se montrait sans illusion sur son œuvre – sans doute en attendant un démenti. Il a poussé ce jeu sur la littérature jusqu’à écrire un roman intitulé Presque rien sur presque tout (Gallimard, 1996). Lorsqu’on lui demandait si ce « presque rien sur presque tout » n’était pas l’inverse de ce que doit être la littérature, « presque tout sur presque rien », il partait d’un grand rire, en laissant au lecteur le soin de conclure.


Il pratiquait à merveille un art en voie de disparition, celui de la conversation. Il était brillant, jamais ennuyeux, parlait vite et bien. On avait envie de l’inviter sur tous les plateaux de télévision. On ne s’en privait pas, et il y avait pris goût.


« Longtemps, je me suis demandé ce que j’allais faire de ma vie »

« Longtemps, je me suis demandé ce que j’allais faire de ma vie », affirmait-il au début de C’était bien, en 2000 (Gallimard) : un retour sur son passé et sur les contradictions de sa vie. Car, bien qu’appartenant à une « grande famille », tout n’avait pas été toujours facile pour lui.
Jean d’Ormesson est né le 16 juin 1925. Son père, André d’Ormesson, est diplomate, bientôt (en 1936) ambassadeur de France. Sa mère, née Marie Anisson du Perron, descend des Le Peletier. Comme il l’évoque dans Au plaisir de Dieu (Gallimard, 1974), il a passé une partie de son enfance au château de Saint-Fargeau, qui appartenait à sa mère. La famille suivant son père dans ses différents postes, il a aussi vécu en Roumanie et au Brésil.


Pour échapper à Sciences Po Jean d’Ormesson entre en hypokhâgne, puis intègre l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, juste après la seconde guerre mondiale. Il passe l’agrégation de philosophie et se résout à enseigner. On lui propose un poste à l’université américaine de Bryn Mawr, près de Philadelphie, université de jeunes filles, ce qui l’amuse plutôt. Mais il tombe gravement malade.

Il entre en 1950 à l’Unesco, où il devient l’assistant de Jacques Rueff au Conseil international de la philosophie et des sciences humaines nouvellement créé – qu’il dirigera plus tard. Il fait aussi, avec Roger Caillois, la revue de sciences humaines Diogène, dont le premier numéro est sorti en 1953. Il déclarait détester les réunions et les comités de rédaction, ce qui ne l’empêchera pas de diriger Le Figaro entre 1974 et 1977.

« Au revoir et merci »

Il devient donc directeur du journal et, à ses chroniques, s’ajoutent des éditoriaux politiques qui ne manquent pas de susciter des polémiques à gauche. Lorsque Robert Hersant – qui avait été frappé d’indignité nationale pendant dix ans pour faits de collaboration – rachète Le Figaro, en 1975, Jean d’Ormesson, comme Raymond Aron, reste. Mais tous deux partiront deux ans plus tard.

Jean d’Ormesson va enfin pouvoir consacrer plus de temps à son œuvre littéraire, commencée en 1956 et ayant connu des fortunes diverses. René Julliard avait aimé (et publié) son premier texte, L’amour est un plaisir. Mais, après plusieurs échecs, ayant peu de goût pour le masochisme, Jean d’Ormesson faisait ses adieux à la littérature en publiant Au revoir et merci, en 1966 (réédité chez Gallimard en 1976).

Un an plus tard survient un événement pour lui dramatique : il doit se résoudre à vendre le château maternel de Saint-Fargeau. Et, au début des années 1970, tout change dans son existence : il écrit La Gloire de l’Empire, un pastiche de récits d’historiens. Roger Caillois s’enthousiasme et porte le manuscrit chez Gallimard, où il est publié (1971). Pour ce livre, Jean d’Ormesson reçoit le Grand Prix du roman de l’Académie française. En 1973, à 48 ans, il entre sous la Coupole au fauteuil de Jules Romains – il est alors le benjamin de l’Académie.

On le retrouve en 1974 avec un texte plus grave, Au plaisir de Dieu, qui raconte la fin d’un monde, celui de sa famille. Le succès, ensuite, ne le quittera plus. Dix livres en quinze ans – toujours sur les listes des meilleures ventes –, jusqu’à cette Histoire du Juif errant, en 1990, suivi de La Douane de mer en 1994 puis de Presque rien sur presque tout, en 1996, trois romans (Gallimard) dans lesquels Jean d’Ormesson tente une explication du monde.

On sait, par ses articles du Figaro – il a continué à y collaborer après avoir abandonné la direction –, que Jean d’Ormesson n’a jamais dédaigné les combats et les polémiques. Ses attaques contre ceux qu’on désignait à droite comme les « socialo-communistes » lui ont même valu, pendant la guerre du Vietnam, d’être la cible d’une chanson de Jean Ferrat, Un air de liberté (1975). On en oublie parfois qu’il a magnifiquement écrit sur les écrivains. Parmi ses milliers d’articles, il en a choisi certains pour les réunir en volumes.

Un recueil dédié à sa fille Héloïse

En 2007, à 82 ans, il a fait cadeau d’un nouveau recueil à sa fille Héloïse, qui avait créé sa propre maison d’édition. Dans cette Odeur du temps (éd. Héloïse d’Ormesson), on mesure tout son amour de la vie, on comprend mieux ses passions, ses enthousiasmes. C’est finalement une sorte d’autobiographie détournée, avec ce qu’il faut de souvenirs de famille, de voyages.

Dans ces articles, on aime le style énergique, le sens des formules, des croquis, des portraits aigus, rapides. Et on découvre que Jean d’Ormesson possède une autre qualité trop rare : il sait admirer. Ainsi, François Mauriac occupe une large place, peut-être parce qu’en lui « s’incarnaient tous les talents d’un esprit à la fois classique et moderne et le génie de la langue porté à sa perfection. C’est cette rencontre si rare qui donne à François Mauriac, écrivain et journaliste, toutes ses chances d’éternité ». Paul Morand, au contraire, détestait le journalisme. Surprenant, quand on a écrit des livres sur des villes, « tant de reportages de génie où le monde moderne brillait de tous les feux nouveaux de l’automobile de sport, du cinéma et du jazz ».

Comprendre, aimer : deux mots qui sont le moteur de Jean d’Ormesson dans ces articles. Il célèbre Aragon. Totalement préservé de la jalousie et du ressentiment qui font détester ses contemporains, il sait aussi rendre hommage à ses cadets. Patrick Besson, qui a « plus de talent que les autres, et peut-être plus que personne ». Gabriel Matzneff, « un sauteur latiniste, un séducteur intellectuel, un diététicien métaphysique ». Et qui est donc ce « classique rebelle et farceur, doué comme pas un » ? Jean d’Ormesson lui-même ? Non, Philippe Sollers, qui, comme lui, se rallie à ce mot de Stendhal : « L’essentiel est de fuir les sots et de nous maintenir en joie. »

« Je dirai malgré tout que cette vie fut belle »

Il a su aussi aider Marguerite Yourcenar à forcer la porte de l’Académie française, avec « cette œuvre éclatante écrite dans ce style suprême qui rejette dans la préhistoire les fadaises et les mièvreries de la prétendue écriture féminine ». Cela n’a pas été une mince affaire. On est en 1979, et Jean d’Ormesson, qui était alors, à 54 ans, un « jeune » à l’Académie, a l’idée, à l’époque loufoque, de faire entrer une femme sous la Coupole. Alors, les académiciens perdent leurs nerfs. Les plaisanteries graveleuses abondent. Yourcenar est-elle vraiment une femme ? – allusion à sa vie sexuelle. Peut-être peut-on l’élire car elle écrit comme un homme. Contre toute attente, Marguerite Yourcenar est élue le 6 mars 1980 au fauteuil de Roger Caillois. En janvier 1981, c’est Jean d’Ormesson qui la reçoit.

Dans les dernières années de sa vie, Jean d’Ormesson a connu une consécration qui lui a certainement fait plus de plaisir que son élection à l’Académie française. En 2015, la prestigieuse « Bibliothèque de la Pléiade » de Gallimard a publié un volume de ses romans. Il en a fait le choix lui-même. Mais il n’a pas pour autant renoncé à écrire. En janvier 2016, paraissait chez Gallimard un excellent Jean d’Ormesson, sans doute l’un de ses meilleurs, Je dirai malgré tout que cette vie fut belle : une traversée, non pas du siècle mais des siècles, de Racine à Paul Morand, de Saint-Simon à François Mitterrand et bien d’autres. Livre testamentaire ? Jean d’Ormesson le reconnaît dans les dernières pages. Toutefois, en octobre 2016, co-édité par Gallimard et Héloïse d’Ormesson, il a publié un bref Guide des égarés.


Tous ses combats, comme tous ses livres, sont dominés par une passion qui oriente un destin, celle de la lecture. Jean d’Ormesson savait qu’il y aurait toujours quelques fous pour s’abstraire un moment du jeu social et entrer dans l’univers d’un écrivain. Alors, « tant qu’il y aura des livres, des gens pour en écrire et des gens pour en lire, tout ne sera pas perdu dans ce monde qu’en dépit de ses tristesses et de ses horreurs nous avons tant aimé ».


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Laurent Joffrin
La lettre politique
de Laurent Joffrin
«Jean d'O» : une certaine idée de la droite

Ce n’est pas seulement un écrivain qui disparaît avec Jean d’Ormesson, ni un symbole télévisuel de «l’esprit français», selon la formule consacrée. C’est une certaine idée de la droite. Avant de devenir le «Jean d’O» qu’on connaît, aimable, ouvert, élégamment conservateur, il fut un combattant.

Directeur du Figaro, protagoniste d’innombrables débats, cette aristocrate pacifique sabrait comme un colonel d’Empire. Il sabrait la gauche, le PCF, Mitterrand, le Programme commun, le socialisme, bref, tout ce que ses lecteurs, autant que les excellences qu’il recevait à dîner ou dans ses demeures historiques, à Neuilly ou à Saint-Florent, détestaient.

Puis, avec le temps, menant sa carrière d’écrivain cathodique promu dans la Pléiade, il avait arrondi sa manière et enrobé d’humour ses idées. Toujours bretteur de la main droite, gaulliste fidèle, sarkozien ironique, plaisantant avec Hollande, il avait troqué le sabre pour le fleuret. Il incarnait une droite aimable, libérale, adonnée d’abord à la littérature, regardant le jeu politique en spectateur de plus en plus distancié, professant, un peu à la manière de son maître, Chateaubriand, un aristocratisme attaché aux libertés et à une certaine mesure, légitimiste mais tolérant.

La droite d’hier, peut-être. Pas celle d’aujourd’hui, en tout cas. Quoique normalien, Laurent Wauquiez est son exact contraire, Rastignac identitaire et cogneur, adepte du «gros rouge qui tache» autant que d’Ormesson préférait, au propre et au figuré, la coupe de champagne. Ne parlons pas de Marine Le Pen qu’il aurait à coup sûr laissée à la porte du parc. Avec lui s’efface donc une certaine idée du conservatisme, sans doute surannée, mais républicaine autant que bourgeoise. Après les élégants cavaliers, vient le temps des bourrins. Peut-être Jean d’Ormesson, somme toute, a-t-il préféré s’éloigner…
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