Je dédie cette chanson à Karim
https://www.youtube.com/watch?v=dTCNwgzM2rQ
LE SILENCE EST-IL UNE VERTU ?
Le silence est-il une vertu ? Voici une question qui saurait faire débat, et particulièrement chez tous les orateurs. Dois-je me lever maintenant pour ne pas être complice, ai-je une part suffisante de vérité pour espérer ne pas tomber dans le gouffre de la calomnie ?
On peut le remarquer, dans la vie quotidienne, l’air n’est plus assez dense pour transmettre les revendications de chacun. Le vrai silence est ainsi difficile à trouver, il n’est pas dans des immeubles assaillis par le bruit, ni dans les gares, ni même là où l’on vit. Si l’on veut l’observer réellement, c’est peut-être à l’aube, où le monde s’éveille, où l’espace d’un instant, la nature se tait. Rien de bouge et pourtant, un souffle peut fait tout vaciller. Et tout d’un coup c’est l’apothéose, une goutte d’eau tombe, un merle ricane : la nature hurle et l’on constate qu’il faut que quelque chose se taise pour que quelque chose s’entende. Le silence est donc, s’il n’est lui-même parole, un excellent maitre de débat.
L’effervescence de la cité contemporaine, ostracise le silence. Peu importe où nous mettons les pieds, la foule gronde, l’air vibre, l’homme exalte. Et la parole des médias a étouffé notre vision, les sophismes ont étranglé notre réflexion, travestissant la réalité, usurpant l’honnêteté, allant même jusqu’à atteindre à la liberté de penser. Il y a une phrase de Musset qui pourrait résumer tout cela : Je dirais que les gens qui font de la littérature ont plus conspiré, machiné, machiavélisé, faute d’avoir de secrètes trames et plus tendu au public d’imperceptibles embuches que ne fit politique. On a parlé sans réfléchir, alors que se taire et raisonner n’aurait ni blessé, ni humilié.
Mais il y a des moments où l’on ne peut plus se taire, parce que la situation est telle où se taire revient à acquiescer. Il y’a des moments où le silence est l’apparat des lâches, où l’on doit avoir le courage de ses convictions et la volonté de monter au créneau pour les défendre. Ecoutons Camus : « Les grandes tragédies de l'histoire fascinent souvent les hommes par leurs visages horribles. Ils restent alors immobiles devant elles sans pouvoir se décider à rien qu'à attendre. Et il avait ajouté : Attendre quoi ? Sinon le pire ? La force du cœur, l'intelligence, le courage suffisent pourtant pour faire échec au destin ». Que serions-nous devenus aux heures les plus tragiques, si le Non de révolte n’avait pas été proclamé ?
J’ai acquis la conviction qu’il y a un point de non-retour à partir duquel, si l’on ne prend pas la parole, on devient complice, car il y a des outrages que l’on ne peut pas laisser passer, il y a des fondements qu’on ne peut pas laisser profaner, et par-dessus tout il y a une conception de l’homme que l’on ne peut pas laisser piétiner : à trop regarder le sang couler, on finit soi-même par être taché. Entendons les paroles de Martin Niemoller, alors que la svastika claquait au vent, telle une gifle au peuple d’Europe, enveloppant dans ses plis, les plus grands crimes de l’histoire : « Quand ils sont venus chercher les Juifs, je n’ai pas protesté, je n’étais pas juif, quand ils sont venu chercher les Communistes je n’ai pas protesté, je n’étais pas communiste puis ils sont venus me chercher, et alors il ne restait plus personne pour protester. » Eh bien quand le pasteur allemand écrivait ces lignes, il avait tout compris : briser le silence c’est refuser l’indifférence, c’est partir en campagne avec les mots comme arme, et la rhétorique comme étendard.
A ce moment même dans tout pays, des hommes sont en route pour bâillonner, Pourquoi ? Parce que même si les balles peuvent se substituer à la conversation, les mots garderont leur force. Ils sont beaucoup plus que des lettres, ils portent des idées, et les idées sont à l’épreuve des balles.
Avant de se lever il faut donc réfléchir, le silence peut éviter bien des maux, bien des souffrances. Mais n’oublions jamais que le sang ne se lave que par les mots.
Aquilon pour Agoravox :
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