Kateb Yacine

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yacoub
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Kateb Yacine

Message non lu par yacoub »

C'est le testament de Kateb Yacine avant sa mort.


http://www.youtube.com/watch?v=HOnJ-L4hWzM&feature=player_embedded



«L' Algérie arabo-islamique est une Algérie contre-nature, une Algérie qui est contraire à elle-même.
C'est une Algérie qui s'est imposée par les armes, car l'islam ne se développe pas avec des bonbons et des roses, il se développe avec des larmes et du sang.
Il croît dans l'oppression, la violence, le mépris, par la haine et les pires humiliations que l'on puisse faire à l'homme.»


Kateb YACINE
__________________________________________________ _______________
«Déguerpir au plus vite,
A pieds ou à dos d'âne !
Il n'est même plus un prolétaire
Un bourricot sur le sol national
Mais un âne vagabond, un exilé de l'intérieur
Et à quoi rêve pareil baudet ,
Sinon à s'évader en toute barbarie ?
D'innombrables ânons parmi les plus valides
Empruntent pour chacun d'eux,
Le prix d'une place de bateau
Le premier émigré enverra au second
De quoi quitter l' Anafrasie et ainsi de suite
Les écuries du monde entier
Fourmillent d' ânes bien de chez nous
Sans domicile fixe
Ils mourront hors de leur patrie
Et ne ternirons plus la gloire ni la paix
Des Frères Monuments .»
__________________________________________________ ___________

«Cette propension à la liberté chez une femme avait de quoi ameuter les belliqueuses revendications de tous les mâles , décidés à châtier sans pitié toute tentative féminine en vue de l'émancipation devenue lettre morte et objet de risée - tout le pays demeurant arc-bouté à cette seule dignité que personne n'osait remettre en question: parquer les femmes et les élever comme des vers à soie, puis les laisser mourir dans le suaire blanc dont on les enveloppait dès la fin de l'enfance.»
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c’est l’arabo-islamisme qui a abouti à l’asservissement et à la dégradation de la femme chez nous".
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"Et l’aliénation vient de la religion, encore une fois.
De la même manière, quand on présente la Kahina comme une juive, qu’est-ce que cela veut dire ?
Ça, c’est une invention des Arabes.
Parce que, pour des Arabes et pour des musulmans, être juif, c’est être le diable.
C’est une manière de lui coller une autre religion.
Et, de toute façon, elle n’est pas entrée dans l’histoire comme ça.
Si elle était entrée dans l’histoire comme juive, ça se saurait.
La Kahina n’est pas entrée dans l’histoire parce qu’elle aurait lutté pour le judaïsme...
A ma connaissance, non.
Elle est entrée dans l’histoire comme nationaliste.
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Mais ces religions ont toujours joué un rôle néfaste.
Il faut s’y opposer avec la dernière énergie.
On les voit maintenant à l’œuvre.
On les voit en Israël, en Palestine, on les voit partout.
Ces trois religions monothéistes font le malheur de l’humanité.
Ce sont des facteurs d’aliénation profonde.
Voyez le Liban. Ça se passe devant nous. Regardez le rôle des chrétiens, des musulmans et des juifs.
Il n’y a pas besoin de dessin.
Ces religions sont profondément néfastes et le malheur de nos peuples vient de là.
Le malheur de l’Algérie a commencé là.

Nous avons parlé des Romains et des chrétiens.
Maintenant, parlons de la relation arabo-islamique ; la plus longue, la plus dure, la plus difficile à combattre.
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L’Algérie arabo-islamique, c’est une Algérie contre elle-même, une Algérie étrangère à elle-même.
C’est une Algérie imposée par les armes, parce que l’islam ne se fait pas avec des bonbons et des roses.
Il s’est fait dans les larmes et le sang, il s’est fait par l’écrasement, par la violence, par le mépris, par la haine, par les pires abjections que puisse supporter un peuple.
On voit le résultat.
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c’est l'arabo-islamisme qui a abouti à l'asservissement et à la dégradation de la femme chez nous.
C’est très clair. Je ne vois d'autre source que celle-là. Je n'en vois pas d’autres. Au nom de quoi ? Comment se fait-il qu’un peuple qui a été dirigé par une femme puisse aujourd’hui être ce qu’il est ?
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Je connais une femme qui veut divorcer parce que son mari a pris une seconde femme et qu’il veut la lui imposer chez elle. Elle veut demander le divorce. Or jamais le procureur n’a voulu la recevoir.

J’ai vu une fois de mes propres yeux, ici, au Clos Salembier, une femme sauvagement battue, en pleine rue, à coups de pied dans le ventre, devant tout le monde, à midi. Personne n’a bougé. Pourquoi ?

Parce qu’elle lui appartient, c’est sa femme. Il en fait ce qu’il veut.
On ne pourrait jamais voir ça dans aucun autre pays du monde.
Ici on appelle ça "être un homme" !
Est-ce que ça fait partie de ce que nous sommes réellement ?
c’est l’apport de l’arabo-islamisme.
C’est ça la fameuse redjla, le culte de la virilité, le culte de la force, le culte de la violence.

On pourrait trouver d’autres exemples : le fait d’assimiler le travail à la prostitution, et beaucoup d’autres choses qui se passent chez nous et qui montrent bien comment
l’arabo-islamisme devient la chaîne qu’il faut briser.
Il est ce qui corrompt tout, ce qui souille tout.


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Re: Kateb Yacine

Message non lu par Elblid »

Je ne connaissais pas cet homme, qui m'a l'air d'être formidable! Qu'il repose en paix, félicitations c'est un des plus beaux testaments que j'ai jamais vu!
"Il est un remède pour tout sauf la mort, un espoir pour tout sauf pour la perversité, tout sera détruit sauf la vertu." (Avesta).
"[...]-La sagesse est-elle bonne, ou [bien] le talent, ou [bien] la bonté? L'Esprit de Sagesse répondit ainsi: "La sagesse avec laquelle il n'y a pas de bonté n'est pas à considérer comme de la sagesse; et le talent avec lequel il n'y a pas de sagesse n'est pas à considérer comme du talent."
Menog-i Khrad (L'Esprit de Sagesse), chap. 11.
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Re: Kateb Yacine

Message non lu par Maried »

"Il n y a pas de bon dieu ou alors s'il y en a un c'est vous" je suis d'accord
"Qui n'empêche pas le mal le favorise"
Cicéron
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Re: Kateb Yacine

Message non lu par yacoub »

Aux origines des cultures du peuple

Entretien avec Kateb Yacine

Tassadit Yacine



Cet entretien a été réalisé en octobre 1987 à Ben-Aknoun au domicile de Kateb Yacine. M’étant toujours intéressée aux itinéraires des intellectuels, je voulais remonter aux sources de la prise de conscience de Kateb Yacine. Qu’est ce qui faisait qu’un arabophone s’intéressât à la culture berbère sachant par ailleurs qu’il y avait très peu d’arabophones à manifester un intérêt pour cette culture. Il y a bien sur des exceptions, car Bensédira ( berbérisant connu à la fin du XIXe siècle ) compte parmi les premiers autochtones à travailler sur les langues populaires. Ce qui a caractérisé la fin du XIXe siècle va disparaître peu à peu, en particulier à partir des années 20.

Il serait intéressant de réfléchir sur les causes de ce recul ---en ce qu’il est remarquable --- dans domaine de recherche et d’impulsion des langues parlées en Algérie. C’est en fait l’histoire de la recherche, l’histoire des idées qui a contribué à la réalisation de ces deux entretiens. Le lecteur trouvera des opinions bien connues de Kateb Yacine. Elles ne concernent guère le sujet traité ici, même si certains points sont d’actualité (problèmes sociaux). si je les reprends, c’est par fidélité à l’auteur et aussi parce que Kateb Yacine nous fait découvrir son enfance et nous relate lui-même la genèse de son intérêt pour les langues populaires.

Tassadit Yacine : Si vous voulez bien, essayons de définir ce que vous appelez la patrie, l’Algérie.

Kateb Yacine : Nedjma, c’est l’Algérie, la quête de l’Algérie. Est-ce que nous l’avons trouvée ? A mon avis, non. Nous ne sommes même pas capables d’appeler notre pays par son nom. L’Alérie ce n’est pas le vrai nom de notre pays. C’est un terme touristique. Ldjazaïr, c’est quoi ?

T.Y : les îles.

K.Y : Vous avez vu un pays qui s’appeler les îles ? Ce sont es arabes qui l’ont appelé ainsi.

T.Y : oui.

K.Y : nous continuons à nous désigner en termes étrangers, parfois hostiles et même méprisants ou sinon indifférents.

T.Y : vous l’auriez appelé comment ?

K.Y : moi, je préférerais l’appeler Tamazight (ou Tamazirt).

T.Y : Tamazgha, c’est le lieu ou se pratique la Tamazight qui est la langue…Je crois que Tamazgha a déjà été employée par quelques-uns pour désigner, semble-t-il, un ensemble plus vaste.

K.Y : Ldjazaïr ne peut pas être le nom de notre patrie ! C’est touristique.

T.Y : Même par rapport au nom ancien de l’Algérie il y a comme une amputation. Au Xe siècle, c’était Djazaïr Bani Mazghana. Les îles ou les îlots des Mazghana ( qui est la forme arabisée de Imazighen) ; et le prince Ziride qui régnait à l’époque s’appelait Bologhine (Bolokine, il est difficile d’avoir l’orthographe exacte) s’appelait Bnu ziri . L’adjectif actuel de Dziri en arabe populaire pourrait sains doute plutôt rappeler l’éponyme Ziri (ziri pourrait être le Dziri actuel). En berbère de la Kabylie septentrionale, on dit Lezdayer. Et l’on sait parfaitement la volonté de certains de ramener à des racines connues et de falsifier consciemment ou inconsciemment les toponymes ou les anthroponymes. Il n’y a qu’à voir Amechras qui devient Mecht aras, In U Mennas (ain oum nnas…), Tit tameqqrant (Ain kbira), Asif amellal qui devient Oued El Abiod et j’en passe. Je connais même des Algérois « de souche » comme ils disent, eux, qui s’appelaient Maziri. Ils récusent leur appartenance au monde ancien. Pour se démarquer des anciens berbères, ils prononcent Maziri avec un r emphatique). Emphase ou pas, la racine est d’origine berbère. Cela peut être Mazighi (de amazigh), Amazir( de Tamazirt : le champ). Il en est de même des Zougaghi(avec emphase ou pas : c’est un terme berbère qui peut vouloir dire rouge ou bien jujubiers…) De même qu’à saint-Eugène berceau des anciens hadri (citadins) il y a un quartier qu’on appelle encore aujourd’hui zouagha, nom d’une fraction de tribu berbère dont Ibn Khaldoun faisait mention au XIVe siècle. Tout comme le prénom Houari signifie descendant des Houara.

Pour revenir à ce que je voulais dire, c’est que le Mezghana avec le temps a complètement disparu, seul le terme de El Djazaïr est resté.

K.Y : un jour l’Algérie retrouvera son véritable nom.

T.Y : vous pensez réellement qu’il est bon de revenir sur un fait établi et largement admis.

K.Y : nécessairement. Il suffit de le savoir.

T.Y : De ne pas rester dans l’ignorance, c’est bien cela ?

K.Y : l’ignorance n’est rien quand on commence à savoir. L’ignorance, c’est quelque chose qu’il faut secouer, jusque-là il y a des gens, ça ne leur venait même pas à l’idée. Notre tâche, c’est de leur mettre la puce à l’oreille.

C’est de poser enfin ces problèmes là. Autrefois on nous disait : non, ce n’est pas le moment. Les gens qui nous disaient cela au nom de quoi ? Au nom de l’unité. On nous disaient : il ne faut pas deviser. On parle toujours d’unité. Je veux régler ce problème une fois pour toutes.

T.Y : Sur quelles bases voulait-on réaliser cette union ? De plus, parler d’union voulait dire qu’il y avait désunion. Je ne comprends pas pourquoi ce problème s’est posé à votre génération en ces termes ?

K.Y : Est-ce qu’on doit s’unir sur la base du mensonge et de l’ignorance ou bien sur celle de la connaissance et de l’espérance ? Il faut poser le problème comme ça. Est-ce qu’on doit s’unir pour tuer une langue ou pour la faire vivre ? Est-ce qu’on doit s’unir pour connaître son histoire ou pour l’ignorer ? C’est nous qui sommes pour l’unité, ce ne sont pas eux ; encore faut-il qu’elle se fasse sur quelque chose de vrai ! A ce moment-là tous ces ennemis même de l’Algérie, parce que, s’ils étaient des patriotes, il ne leur viendrait pas à l’idée de se nier eux-mêmes, de nier l’essence même de la patrie ; justement, en tant que bourgeois, ils ont besoin de l’arabo-islamique parce qu’ils veulent continuer à dominer ce peuple. Ils ne veulent pas que ce peuple comprenne parce qu’ils savent que la conscience est une chose qui va loin. Si la conscience s’éveille, elle aboutira nécessairement à la perte de leur pouvoir. Mais la conscience à s’éveiller, ça y est, c’est parti.

T.Y : Vous êtes peut-être optimiste.

K.Y : C’est sur que c’est parti.

T.Y : La méconnaissance de l’histoire, c’est une méconnaissance de soi, vous voulez dire ?

K.Y : C’est un complexe d’infériorité.

T.Y : Il est peut-être difficile de voir les choses en face ?

K.Y : justement dans ce sens.

T.Y : votre Nedjma, c’est à la fois le pays, l’histoire, la conscience. En arabe Nedjma, c’est le nom d’une femme. Dans le même ordre idée, on peut dire que l’histoire est aussi niée. Comme on a oubliée aussi le rôle des femmes pendant la guerre. Ils nient l’existence des femmes comme êtres humains. Il y a par conséquent, à mon anis, ce refus de voir les femmes chez nous telles qu’elles sont. Le refus de reconnaître les femmes participe aussi de ce refus de soi. On ne peut pas bâtir une société, une nation sans l’autre qui est aussi une partie de soi ; comment amputer une partie de soi ? Comment amputer ce pays de ce qui le fait ? Ça revient comme vous le disiez tout à l’heure à le nier et à se nier soi-même par la même occasion.

K.Y : Qu’est-ce qui est à la base de ça ? Pourquoi en sommes-nous là ? Comment a commencé le malheur ? Il a commencé par les invasions étrangères et ça a été une suite d’invasions étrangères.

Les Romains. Commerçons par là, car c’est une période relativement connue. N’oublions pas qu’à un certain moment l’Algérie a été dite romaine. Combien de temps les Romains sont-ils restés ?

T.Y : Cinq siècles.

K.Y : L’Algérie romaine. L’Algérie chrétienne, on en a parlé.

On a présenté saint Augustin comme un Algérien et moi, j’ai eu la terrible surprise, après l’indépendance, de voir des personnages officiels faire des conférences à Souk-A hras sur saint Augustin.

T.Y : Et alors ! Est-ce une surprise agréable ou désagréable ?

K.Y : Moi, j’ai ressenti ça comme un crachat. Pour moi, saint Augustin, c’est Massu parce qu’il a massacré les donatistes, ceux qui étaient des chrétiens sincères. Ils avaient pris position pour les insurges et les ouvriers agricoles qui se battaient contre la latifundia, contre les colons romains, exactement comme nous contre les français. Saint augustin a appelé à la répression et la répression été atroce. Ça a été des massacres.

Fêter saint augustin, qu’est-ce que cela veut dire ? Pourquoi ? Parce qu’il est né en Algérie. Dans ce cas-là, camus aussi est né en Algérie. Et beaucoup de gouverneurs généraux.

T.Y : Vous pensez toujours la même chose ? Dans tout les pays du monde, il n’a pas que les bons, les purs, les courageux qui sont les citoyens.

K.Y : Bien sûr. Mais, pour moi, c’est un ennemi et c’est tout.

Il faut rejeter ça avec la plus grande énergie. Bien sûr qu’il ne suffit pas de naître en Algérie pour être un Algérien, surtout si on travaillé contre son histoire, contre ceux qui l’étaient vraiment.

T.Y : À vous entendre, il y aurait encore de nombreux saints augustin aujourd’hui.

K.Y : Et l’aliénation vient de la religion encore une fois. De la même manière, quand on présente la kahéna comme une juive, qu’est-ce que cela veut dire ? Ça, c’est une invention des arabes.

T.Y : Ce serait donc d’après vous une reconstruction d’après la vision dominante, des vainqueurs ?

K.Y : Oui, parce que pour les arabes et pour les musulmans, être juif, c’est être le diable. C’est une manière de lui coller une autre religion. Et de toute façon, elle n’est pas entrée dans l’histoire comme ça. Si elle était rentrée dans l’histoire comme juive, ça se saurait. La Kahéna n’est pas entrée dans l’histoire parce qu’elle lutté pour le judaïsme, à ma connaissance, non. Elle est entrée dans l’histoire comme nationaliste.

T.Y : Lutter pour une religion peut être aussi une forme de nationalisme. Pour ceux qui ont la fois, c’est déterminant.

K.Y : Il faut réfuter ça énergiquement. C’est pour ça que je suis contre les mythes. Il y a l’histoire quand même.

T.Y : De toute façon, il faut aussi admettre que ce peuple avant l’islam a connu les religions qui étaient là.

K.Y : Mais ces religions on toujours joué un rôle néfaste. Il faut s’y opposer avec la dernière énergie. On les voit maintenant à l’œuvre. On les voit en Israël, en Palestine, on les voit partout. Ces trois religions monothéistes font le malheur de l’humanité. Ce sont des facteurs d’aliénation profonde. Voyez le Liban. ça se passe devant nous. Regardez le rôle des chrétiens, des musulmans et des juifs. Il n’y a pas besoin de dessin. Ces religions sont profondément néfastes et le malheur de nos peuples vient de là. Le malheur de l’Algérie a commencé là. Nous avons parlé des Romains et des chrétiens, maintenant parlons de la relation arabo-islamique la plus longue, la plus dure, la plus difficile à combattre.

T.Y : Parce qu’elle est constitutive de la culture du peuple ?

K.Y : C’est dur de lutter contre une telle couche d’aliénation. Pendant ces treize siècles, on a arabisé le pays, mais on a en même temps écrasé tamazight forcément. Ça va ensemble. L’arabisation ne peut jamais être autre chose que l’écrasement de tamazight. L’arabisation, c’est imposer à un peuple une langue qui n’est pas la sienne et donc combattre la sienne, la tuer.

Comme les français quand ils interdisaient aux écoliers Algériens de parler l’arabe ou tamazight parce qu’ils voulaient faire l’Algérie Française. L’Algérie arabo-islamique, c’est une Algérie contre elle. C’est une Algérie imposée par les armes parce que l’islam ne se fait pas avec des bonbons et des roses. Il s’est fait dans les larmes et le sang, il s’est fait par l’écrasement, par la violence, par le mépris, par la haine, par les pires abjections que puissent supporter un peuple. On voit le résultat.

Quand on prend Ibn Khaldoun, pourquoi on n’a jamais fait une édition populaire de Ibn Khaldoun ? Je vous propose ça maintenant. Prenez L’histoire des berbères, faites une édition populaire de Ibn Khaldoun. On me dit que c’est dur, etc. Il y a des pages lumineuses sur l’histoire. Tenez, par exemple quand on dit que ce peuple a apostasie douze fois. Ça prouve bien que la pilule n’est jamais passée.

T.Y : Il y a eu le phénomène des Bergwata qui est une prise de conscience manifeste de ce que certains ont appelé une forme de nationalisme nord-africain. Mais vous ne pouvez pas dire que ces faits culturels islamiques, et par voie de conséquences arabes ne sont pas assimilés par le peuple. Ils sont partie intégrante—que vous le vouliez ou non—de la culture algérienne et du Maghreb.

K.Y : Je ne suis pas d’accord. Les gens croient parce qu’ils n’ont rien d’autre. il y a beaucoup de choses à dire. Nous sommes pris dans un océan de mensonges. Nous avons un fil pour retrouver la vérité, il y a des siècles de mensonges et Ibn Khaldoun, c’est très important parce qu’il était en plein arabo-islamique, mais il avait l’esprit scientifique.

T.Y : Il voyait la réalité telle qu’elle était.

K.Y : pour nous c’est une source extraordinaire. Il la répandre. Il faut qu’Ibn Khaldoun, L’histoire des berbères s’enseigne.

C’est elle qui nous concerne le plus. C’est ça son œuvre fondamentale. Quand on lit ça, on peut arriver aux autres questions aussi.

T.Y : Pouvez vous nous en dire plus ?

K.Y : On peut arriver aux femmes. Comment se fait-il que ce peuple ait été dirigé par une femme. Et puis attention ! Ce peuple, ce n’était pas seulement l’Algérie.

T.Y : C’est normal puisque l’Algérie, la Tunisie, le Maroc sont des créations récentes.

K.Y : C’était l’Afrique du nord. Une Afrique du Nord bien plus large que celle qu’on nous apprend parce qu’elle allait de la Libye jusqu’à l’Afrique. Le Maghreb—lui-même—est trop restrictif. C’est africain qu’il faut se dire. Nous sommes Africains. Tamazight, c’est une langue africaine :la cuisine, l’artisanat, la danse, la chanson, le mode de vie, tout nous montre que nous sommes africains. Le Maghreb arabe et tout ça, c’est des inventions, de l’idiologie, et c’est fait pour nous détourner de l’afrique. A tel point qu’il y a maintenant une forme de racisme. D’ailleurs moi, j’ai découvert, avec vraiment beaucoup d’étonnement ici—ce qu’on appelle le Bureau arabe de travail où l’on organise des séminaires—cette partie de l’Afrique. Un jour, j’ai entendu la musique des malienne, j’étais bouleversé d’ignorer ça. C’est honteux. Et pourtant avec le Mali nous sommes sur le même palier. Il y a le Niger, le Mali, l’Afrique. Là aussi on voit l’arabo-islamique sous sa forme maghrébine nous occulter l’Afrique, occulter notre dimension réelle, profonde. C’est ce qui est important.

T.Y : Revenons un peu aux femmes, voulez-vous ?

K.Y : En ce qui concerne la femme, comment se fait-il que ce pays, ce sous-continent, ait pu être dirigé par une femme, comment se fait-il que la femme en soit là aujourd’hui ? Ce n’est pas difficile, c’est l’arabo-islamique qui a abouti à l’asservissement et à la dégradation de la femme chez nous.

T.Y : Je crois que ce n’est pas aussi clair que vous le dites. Les raisons sont hélas multiples et les problèmes complexes.

K.Y : C’est très clair. Je ne vois d’autre source que celle-là. Je n’en vois pas d’autres. Au nom de quoi ? Comment se fait-il qu’un peuple qui a été dirigé par une femme puisse aujourd’hui être ce qu’il est ? Je connais une femme qui veut divorcer parce que son mari a pris une seconde femme et qu’il veut la lui imposer chez elle. Elle va demander le divorce. Or jamais le procureur n’a voulu la recevoir.

J’ai vu une fois de mes propres yeux, ici, au Clos Salembier, une femme sauvagement battue, en pleine rue, à coups de pieds dans le ventre, devant tout le monde, à midi. Personne n’a bougé. Pourquoi ?

Parce qu’elle lui appartient, c’est sa femme. Il en fait ce qu’il veut. On ne pourrait jamais voir ça dans aucun pays du monde. Ici on appelle ça « être un homme » ! Est-ce que ça fait partie de ce que nous sommes réellement ?

T.Y : Je ne crois pas, mais peut-être qu’il faut prendre la question autrement : la misère, l’inculture, le passé colonial, la perte de ses racines, etc., tout ça contribue à travestir la culture.

K.Y : ça, c’est l’apport de l’arabo-islamique. C’est ça la fameuse redjla, le culte de la virilité, le culte de la force.

T.Y : Mais ce culte de la virilité existe aussi ailleurs.

K.Y : On pourrait trouver d’autre exemple : le fait d’assimiler le travail à la prostitution et beaucoup d’autre choses qui se passent chez nous qui montrent bien comment l’arabo-islamique devient la chaîne qu’il faut briser :il est ce qui corrompt tout, ce qui souille tout. Evidement les gens maintenant, le socialisme n’as plus la même force chez nous les pouvoirs publics ne s’en réclament pas. Ils ont besoin pour exister de lutter contre les forces de progrès. Ces forces nationales et populaires peuvent être représentées grosso modo par les syndicats, les ouvriers et les kabyles, les Chaouis, les Imazighens, voilà les deux ennemis du pouvoir. Puisque ces deux forces à l’heure actuelle on veut les combattre, eh bien ! Il ne reste plus qu’à s’appuyer sur l’arabo-islamique. C’est ce qu’on a fait, même si le pouvoir, à l’heure actuelle, craint que les démagogues religieux ne lui prennent le pouvoir. En définitive, le véritable ennemi, c’est nous. Et ça, c’est une logique à laquelle personne ne peut échapper parce que ce pouvoir a peur de deux forces : il a peur du mouvement national et il a peur du mouvement ouvrier. Il a peur qu’il y ait un éveil réel dans les montagnes. Il a peur d’un deuxième Tizi-ouzou mais à l’échelle algérienne. Devant les difficultés économiques et évidemment les inévitables conflits sociaux qui se profilent à l’horizon, il a peur des syndicats, des ouvriers. A ce moment-là le pouvoir est condamné à faire le jeu de ses ennemis. Il est condamné à se diviser en forces antagonistes, s’arracher le pouvoir et c’est comme ça qu’on voit le mouvement intégriste attaquer des écoles de police. C’est comme ça qu’on voit dans les rues des quêtes pour les mosquées, c’est ainsi qu’on voit des privés construire des mosquées, et le pouvoir renchérir, à son tour, en construisant des mosquées et les privés de renchérir à leur tour, ça devient aveuglant mais il y aura tôt ou tard un phénomène de rejet. Ce peuple a subi bien des assauts de forces qui se croyaient plus grandes et qui apparemment étaient invincibles, mais il n’y avait rien à faire. Le peuple reste lui-même, car les forces sont là.

T.Y : pour ce qui est de Tizi-Ouzou. Avant d’arriver à Tizi-Ouzou, voulez-vous dire comment vous avez pris conscience pour la première fois du fait cultuel berbère ?

K.Y : C’est quand j’avais neuf ou dix ans. Nous sommes partis du pays Chaoui, c’est-à-dire par l’est puisque les arabes sont arrivés par l’est (ils sont arrivés plutôt chez nous), l’est est arabisé plutôt aussi. A Sedrata, où j’ai passé ma petite enfance, je n’entendais pas parler tamazight. On le parle (plus loin) mais pas à Sedrata. Ce que je savais sur les kabyles, quand j’étais petit, c’était plutôt péjoratif. Le kabyle c’était presque un juif, c’était un étranger, quelqu’un pas comme nous. On ne le percevait pas comme ça. Il y avait même des mots pour les désigner. Tenez :

Leqbayel, leqbayel

Tous, tous

Lgemla ged lfellus

T.Y : Qu’est-ce que ça veut dire ?

K.Y : Les kabyles

Tous, tous

Le pou gros comme le poussin

C’est vraiment péjoratif et pourtant c’est des Chaouis qui disent ça. C’est des Imazighen eux-mêmes qui disent ça. ça peut s’expliquer de mille manières.

T.Y : Comment l’expliquer-vous ?

K.Y : Il faut le comprendre. Ce qu’on sait des Kabyles là-bas.

T.Y : On leur reproche d’être paysans, frustes, un peu sauvages.

K.Y : Non, souvent c’est des bourgeois. A Sedrata, il y avait un nommé Azouaou, c’est une grande ligne d’autocars. Donc ça suscite des jalousies. Les Kabyles qu’on voyait là-bas ce sont des Kabyles qui ont réussi. Il y avait une espèce d’animosité bâtie sur l’ignorance. Je suis parti avec cette enfance-là.

T.Y : Quand les avez-vous perçus autrement ?

K.Y : Plus tard, mon père étant oukil, il était muté très souvent. On l’a envoyé à Sétif. Près de Sétif vers Bougaâ, en Kabylie. Là aussi, c’est un peu arabisé, on ne parle plus tamazight. On arrive au village. Je me souviens, ma mère a vécu ça comme un exil. Elle est éloignée de sa famille. Allez chez les Kabyles, là-bas, c’est un peu dur.

Il n’y a pas de fontaine à la maison. Il y avait une fontaine publique. Une jeune fille nous amenait de l’eau. Elle ne parlait que tamazight. Elle vient et dit à ma mère :

A d-awigh aman smmat ou quelque chose comme ça.

T.Y : Oui. Je vais apporter de l’eau fraîche.

K.Y : Mais non. Ma mère a compris samet (saumâtre, fade).

T.Y : À Bougaâ le d avec emphase se prononce t avec emphase, bien sur.

K.Y : Quand mon père est rentré, ma mère lui dit : « Tu vois, tu m’as emmenée en exil dans ce pays. Il y a une fille qui m’a proposé de l’eau fade, saumâtre… » Mais, heureusement, mon père parlait bien la langue et il parlait même l’hébreu. Il avait un don pour les langues. Il lui a expliqué. Pour moi, ça a été une espèce de coup de foudre. J’ai découvert mon vrai peuple. J’ai découvert la générosité, la beauté aussi. Tout ce que nous sommes.

T.Y : Vous avez vécu dans un village Kabyle. Est-ce que ce n’est pas ça qui vous a mené vers le marxisme ? Vous avez été sans doute marqué par cette espèce d’égalité apparente, mais trompeuse, qu’il y avait.

K.Y : ça change tout alors, car dans les villages des montagnes, c’était un peu une forme d’égalitarisme « primitif » mais qui cachait de grandes inégalités sociales. Le berger, le forgeron, le boucher n’oint pas le même statut que le paysan.

K.Y : La démocratie peut-être pas, surtout la générosité.

T.Y : La solidarité ?

K.Y : La générosité, c'est-à-dire que c’était un bon peuple ; Mais mon père était aussi très généreux, c’était un peu l’avocat des pauvres. Très souvent, il ne faisait pas payer ses clients. Chez nous, par exemple, à la période de lekhhrif (automne).

T.Y : Vous receviez des corbeilles de figues ?

K.Y : On n’arrivait pas à rentrer à la maison, c’était plein de guêpes. On était envahi de fruits. Tous les fruits de la Kabylie atterrissaient à la maison, des produits de la chasse (perdrix…). Mon père lui-même aimait beaucoup les Kabyles et puis lui-même était Chaoui. On l’appelait d’ailleurs le Chaoui. J’ai commencé à comprendre mais je ne peux dire que j’ai tout compris. En tout cas, je sentais que l’Algérie, c’était ça et pas autre chose, par la suite j’ai mieux compris.

T.Y : A quelle période ?

K.Y : Surtout dans l’émigration, comme par hasard à chaque fois que les gens me soutenaient, c’était toujours des Kabyles ou des Chaouis.

T.Y : Pouvez-nous nous relater un des moments?

K.Y : Quand je suis arrivé à Paris, j’avais un peu d’argent, mais je l’ai tout de suite dépensé. Un matin, je me suis retrouvé sans un sou, je devais quitter l’hôtel. Je ne savais pas quoi faire. J’ai rencontré un copain qui sortait de prison. J’étais catastrophé. Il me dit : ne t’en fais pas, il y a des compatriotes ici. Les Algériens de ce temps-là se connaissaient tous entre eux. Ils étaient regroupés presque par quartier. Les gens de la Petite Kabylie, c’était le XIIIe . C’était rue du Château des Rentiers. C’était quelqu’un de l’Etoile Nord-africaine, un vieux militant, analphabète, tuberculeux, vivant avec une femme de l’ancienne France, aristocrate qu’il appelait Madame Jeanne. Elle était très cultivée. Elle était paralytique.

C’était formidable. Ils avaient un café dans une espèce de cave. C’était le refuge de tous les Algériens en Europe : les chômeurs, les malades, les tuberculeux.

T.Y : C’est une rue qui porte bien son nom.

K.Y : C’était au n° 213. En ce temps-là, il y avait beaucoup de bistrots algériens. La plupart, c’était des kabyles. C’étaient les plus pauvres qu’on retrouvait dans l’émigration. Petit à petit avec la chanson et tout ça, je commençai à me sentir bien parmi eux ; Je suis devenu l’écrivain public.

T.Y : Il s’appelait comment le marie de Mme Jeanne ?

K.Y : Slimane. C’était pathétique. Il avait plus de soixante ans. Il m’a pris chez lui, c’était très pauvre, on mangeait des pois chiches sans viande, etc. Il n’empêche que tous les jours, il me payait un paquet de Gauloises, mes journaux. Il était assoiffé d’informations de politique, de nouvelles du pays. Et, comme il a vu que je m’intéressais à la politique, nos intérêts convergeaient. Il se serait ruiné rien que pour m’acheter des journaux. En retour, je sentais aussi ça, j’écrivais des lettres, je leur lisais les journaux et puis, petit à petit, on s’était organisé pour le front. A l’époque, c’était le parti communiste algérien qui voulait créer le Front national démocratique (une des préfigurations du F.L.N.). Un jour j’ai décidé de faire un meeting et les nationalistes (les messalistes) me sont tombés dessus à coups de bâtons. Bref, l’expérience a mal tourné, mais à ce moment-là l’ai vu ceux qui avaient eu maille à partir avec le parti parce qu’ils étaient berbéristes. Il y avait un grand du parti (qui était dans le Nord et de l’Est de la France) qui s’est jeté dans la Seine après l’indépendance. Il y avait beaucoup de choses : plus ça allait, plus je commençais à comprendre. Une des choses les plus terribles, c’est que le vieux, je ne l’ai plus revu par la suite. J’ai quitté la France, je suis venu en Algérie ; Quand je suis reparti en France, la cave n’existait plus, j’ai retrouvé Slimane garçon de café dans un autre truc du XXe : il m’a était tout tremblant.

T.Y : Il vous a reconnu?

K.Y : Bien sûr, c’est terrible. Quand on rencontre des gens comme ça, on voit où est l’Algérie. Evidemment, après l’indépendance, je voyais ce problème et naturellement comment le poser. J’ai pensé à le poser au théâtre puisque je voyais que dans la chanson il y avait un très fort mouvement. C’était au temps où il y avait Idir (A bab inou ba). C’est là que j’ai compris le rôle de la chanson en Algérie. En tamazight, c’était frappant, c’est dans cette langue-là qu’il y avait un très fort mouvement. Ce n’est pas un hasard, je connais bien ça. Et puis je voyais à Alger. Qu’est-ce que c’est Alger ? C’est la kabylie. C’est la différence avec l’Aurès a la même sensibilité, mais seulement l’Aurès est loin d’Alger. Ici, si quelque chose se passe en Kabylie, une demi heure apres, une heure après, tout Alger l’apprend.

T.Y : C’est-à-dire que l’Aurès n’a pas investi de façon systématique les grandes villes de l’Est.

K.Y : oui, même si c’est des grandes villes, ce n’est pas la capitale et puis c’est plus loin. L’Aurès de Annaba, c’est loin et même de Guelma. Mais ici, la montagne est à coté, si quelque chose se passe ici les montagnards une heure après sont là. Ça, c’est une force. C’est ainsi, avec ma troupe, j’ai pris contact avec les étudiants et j’ai compris que ce problème devait être posé. Ainsi, pour le XXe anniversaire de la Révolution, on a fait la guerre de deux mille ans. On a mis l’histoire de la kahéna au théâtre. On l’a traduite en tamazight. Il y a eu même une expérience en tamazight de Mohamed prend ta valise et qui a été jouée avec le plus grand succès à Tunis. Il faut reconnaître que c’est mon séjour au Vietnam qui m’a renforcé dans cette idée. En revenant du Vietnam (en 70), je suis allé en Syrie et en plein Dams. Pourquoi ? Les Kabyles, les vrais compagnons de Abdel Kader, c eux qui l’ont suivi dans l’exil jusqu’à la mort, ils sont là-bas. Ce sont les femmes, les vielles femmes qui ont sauvegardé la langue et c’est comme ça qu’on continue à parler tamazight à Damas. Toutes ces choses se retrouvent.

T.Y : Des Kabyles, c’est à croire qu’on les retrouve partout : en Tunisie, (émigrés au siècle dernier), au Maroc, depuis l’entrée des Turco Ottomans et ensuite des Français, en Syrie, et même en Nouvelle-calédonie.

K.Y : Une autre fois, je revenais de Bulgarie. Dans l’avion, au retour, l’avion s’arrêtait à Alger mais il allait aussi au maroc. J’étai assis à coté d’un Marocain. On a commencé à parler, on a parlé de Tizi-Ouzou. Il m’a dit qu’au Maroc Tizi-Ouzou avait été un v rai coup de tonnerre. Ça a beaucoup frappé le peuple, le fait que le peuple algérien ait bougé pour sa langue. Là-bas, c’est la langue par excellence, surtout dans les montagnes : le Rif.

J’ai appris très récemment qu’à Toulouse il y a une forte activité en tamazight. Ils ont fait salle comble dans un théâtre. Un type m’a dit que là-bas il y avait des Algériens, des Marocains. Et même des libyens. Tous ça c’est très prometteur. Maintenant c’est à nous de concrétiser cette force, de lui donner une expression, de la rendre évidente pour tous. Ça ne fait que commencer. De toute façon nous, ce n’est pas le pouvoir qui nous intéresse, c’est plutôt la conscience, la prise de conscience de tout un peuple. Que faire du pouvoir si on ne sais pas où on doit aller et qu’est-ce qu’on doit faire ? Et que sommes-nous exactement ? Il faut expliquer inlassablement les choses, les mettre au clair. Tout en sachant que ça durera certainement longtemps, car c’est une lutte de longue haleine et les choses vont certainement plus vite qu’on ne le croit. Il faut aussi compter avec les erreurs de nos ennemis. Rappelez-vous ce qui a été à l’origine de Tizi-Ouzou, c’est cette balourdise incroyable d’un ouali qui ose interdire une conférence sur la poésie ancienne des Kabyles. C’est les erreurs de ennemis qu’il faut comptabiliser. Quand on fait des bêtises comme ça, nos ennemis parfois nous donnent de l’espoir. Oui, ils ne manquent pas de faire des bêtises, d’humilier les gens, de manifester leur mépris, leur ignorance, leurs préjugés et c’est ça qui va préparer le terrain à la prise de conscience, puisqu’ils continuent. Ils sont condamnés à commettre toujours les même erreurs.

T.Y : Vous croyez ?

K.Y : Ah oui ! Les choses vont beaucoup plus vite à notre époque qu’autrefois. Il faut apprendre à manier les armes que nous avons. Il y a des armes comme le magnétophone.

T.Y : La caméra, la vidéo.

K.Y : La révolution a été beaucoup aidée par le transistor, la radio. etc. Puisque nous avons ces armes entre les mais, il faut s’en servir.
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Re: Kateb Yacine

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L'Islam et l'arabisation de la Berbérie

Comment l'Afrique du Nord, peuplée de Berbères en partie romanisés en partie christianisés, est-elle devenue en quelques siècles un ensemble de pays entièrement musulmans et très largement arabisés, au point que la majeure partie de la population se dit et se croit d'origine arabe ?
Plutôt que de rechercher les causes d'un relatif échec de la romanisation il me parait plus positif de montrer le mécanisme de l'arabisation.

L'ISLAMISATION N'EST PAS L'ARABISATION

Il importe, en premier lieu, de distinguer l'Islam de l'arabisme. Certes, ces deux concepts, l'un religieux, l'autre ethnosociologique, sont très voisins l'un de l'autre puisque l'Islam est, né chez les Arabes et qu'il fut, au début, propagé par eux, encore qu'il existe des populations arabes ou arabisées qui sont demeurées chrétiennes (Syrie, Liban, Palestine, Iraq, Egypte), et des millions de musulmans qui ne sont ni arabes ni même arabisés (Noirs africains, Berbères, Turcs, Kurdes, Albanais, Iraniens, Afghans, Pakistanais, Indonésiens...). Tous les Berbères auraient pu, comme les Perses et les Turcs, être islamisés en restant eux même si conservant leur langue, leur organisation sociale, leur culture. En théorie, cela leur aurait été même plus facile, puisqu'ils étaient plus h6mbreux que certaines populations qui ont conservé leur identité au sein de l'U ma musulmane, et qu'ils étaient plus éloignés du foyer initial de l'Islam.

Comment expliquer, parallèlement, que l'Africa, la Numidie et même les Maurétanies, qui avaient été évangélisées au même rythme que les autres provinces de l'Empire et qui possédaient des églises vigoureuses, aient été entièrement islamisées alors qu'aux portes mêmes de l'Arabie ont subsisté des populations chrétiennes: Coptes des pays du Nil, Maronites du Liban, Nestoriens et Jacobites de Syrie et d'Iraq ?

LA FIN D'UN MONDE

L'Islam, c'est un truisme, fut introduit, en Afrique comme au Proche-Orient, par la conquête arabe. Nous avons vu combien les épisodes de cette conquête sont mal connus, encombrés de récits légendaires destinés à mettre en valeur les exploits de guerriers placés à la tête de lignées puissantes. Certains récits d'Ibn Abd el Hakam ou d'En Noweiri ont déjà le souffle épique des chansons de geste.

La conquête fut facilitée par la faiblesse des Byzantins. Le patrice Grégoire, qui fut vaincu et tué, la bataille de Suffetula (Sbeitla), s'était lui-même rebellé contre l'empereur de Constantinople. Depuis deux; siècles l'Afrique était la proie de l'anarchie ; tous les ferments de désorganisation et de destruction économique s'étaient rassemblés sur ce malheureux; pays. Depuis l'irruption des Vandales, la plus grande partie des anciennes provinces échappait à l'administration des Etats héritiers de Rome. Le royaume vandale, en Afrique, ne s'étendait qu'à la Tunisie actuelle et à une faible partie de l'Algérie orientale, limitée au Sud par l'Aurès et à l'Est par le méridien de Cirta. Or C. Courtois a montré, en exploitant les récits de Procope et de Corippus, que dès la fin du règne de Thrasamond, vers 520, les nomades chameliers, sous la conduite de Cabaon pénètrent en Byzacène. A partir de cette date, Vandales puis Byzantins doivent lutter constamment contre leurs incursions venues du Sud-Est. Au cours de cette lutte sans cesse renouvelée ils trouvent parfois des alliés parmi les chefs ou rois des populations montagnardes sédentaires ou semi-nomades, mais plus souvent encore ils doivent faire face à la coalition des deux groupes berbères, confondus sous le nom de Maures.

Duc reste de l'Afrique, celle que C. Courtois avait appelée l'Afrique oubliée, nous ne connaissons, pour cette période de deux siècles, que des noms de chefs, de rares monuments funéraires comme les Djedars près de Saïda ou le Gour près de Meknès et les célèbres inscriptions de Masties à Arris (Aurès) et de Masuna à Altava (Oranie). On devine, à travers les bribes transmises par les historiens et par le contenu même de ces inscriptions, que l'insécurité n'était pas moindre dans ces régions " libérées ".

Autre source d'anarchie et de décadence économique, la rupture, devant les Nomades, des ligues de défense et de contrôle. La disparition des zones de culture méridionales, qui fut plus tardive qu'on ne le pensait, fut une première atteinte à la vie sédentaire de l'arrière-pays.

Les querelles théologiques enfin ne furent pas moins fortes chez les Chrétiens d'Afrique que chez ceux d'Orient. L'Eglise, qui avait eu tant de mal à lutter contre le donatisme, est affaiblie dans le royaume vandale par les persécutions, car l'Arianisme est devenu religion d'Etat, L'orthodoxie triomphe à nouveau dès le règne d'Hildéric (525). Au cours de cette période, non seulement de nombreux évêchés semblent avoir disparu mais surtout le particularisme provincial et le repliement accompagnent la rupture de l'Etat romain.

La reconquête byzantine fut, en ce domaine, encore plus désastreuse. Elle réintroduisit en Afrique de nouvelles querelles sur la nature du Christ : le monophysisme et la querelle des Trois Chapitres, sous Justinien, ouvrent la période byzantine en Afrique, la tentative de conciliation proposée par Héraclius, Je monothélisme, à son tour condamné comme une "nouvelle hérésie, clôt cette même période. Alors même que la conquête arabe est commencée, une nouvelle querelle née de l'initiative de l'empereur ConStant Il, celle du Type, déchire encore l'Afrique chrétienne (648).

En même temps s'accroît la complexité sociologique, voire ethnique, du pays, Aux Romano-africains, (Afariq des auteurs arabes) qui habitaient les villes et les campagnes, parfois très méridionales, comme la société paysanne que font connaître les Tablettes Albertini trouvées à une centaine de kilomètres au sud de Tébessa, et aux Maures non romanisés issus des gentes paléoberbères, se sont ajoutés les nomades zénètes, les débris du peuple vandale, le corps expéditionnaire et les administrateurs byzantins (les Roum des auteurs arabes). Cette société devient de plus en plus cloisonnée dans un pays où s'estompe la notion même de l'Etat.

En bref les conquérants arabes, peu nombreux mais vaillants, ne vont pas trouver en face d'eux un Etat prêt à résister à une invasion, mais des opposants successifs : le patrice byzantin, puis les chefs berbères, principautés après royaumes, tribus après confédérations. Quant à la population romano-africaine, enfermée dans les murs de ses villes, bien que fort nombreuse, elle n'a ni la possibilité ni la volonté de résister longtemps à ces nouveaux maîtres envoyés par dieu. La capitation imposée par les Arabes n'était guère plus lourde que les exigences du fisc byzantin, et, au début du moins, sa perception apparaissait plus comme une contribution exceptionnelle aux malheurs de la guerre que comme une imposition permanente. Quant aux pillages et aux prises de butin des cavaliers d'Allah, ils n'étaient ni plus ni moins insupportables que ceux pratiqués par les Maures depuis deux siècles.


LES VOIES DE LA CONVERSION

Nous disions qu'il fallait distinguer l'islamisation de l'arabisation. De fait, la première se fit à un rythme bien plus rapide que la seconde. La Berbérie devient musulmane en moins de deux siècles alors qu'elle n'est pas encore entièrement arabisée, treize siècles après la première conquête arabe.

L'islamisation et la toute première arabisation furent d'abord citadines. La religion des conquérants s'implanta dans les villes anciennes, que visitaient des missionnaires guerriers puis des docteurs, voyageurs rompus aux discussions théologiques. La création de villes nouvelles, véritables centres religieux, comme Kairouan, première fondation musulmane (670), et Fès, création d'Idriss II (809), contribua à implanter solidement l'Islam aux deux extrémités du pays.

La conversion des Berbères des campagnes, Sanhadja ou Zénètes, se fit plus mystérieusement. Ils étaient certes préparés au monothéisme absolu de l'Islam par le développement récent du christianisme, mais aussi par un certain prosélytisme judaïque dans les tribus nomades du Sud et peut-être encore, pour certains, par le souvenir de l'omnipotence du grand dieu africain, nommé Saturne par les Latins, successeur du Baal Hammon punique, dont la pré-éminence sur les autres divinités préparait au monothéisme.

Quoi qu'il en soit, la conversion des chefs de fédérations importantes répandit l'Islam dans le peuple. Les contingents berbères, conduits par ces chefs dans de fructueuses conquêtes faites au nom de l'Islam, furent amenés tout naturellement à la conversion.

Pour gagner le coeur des populations dans les villes et surtout les campagnes, les missionnaires musulmans eurent recours à l'exemple. Il fallait montrer à ces Maghrébins, dont la religiosité fut toujours très profonde, ce qu'était la vraie communauté des Défenseurs de la Foi. Ce fut le ribat, couvent-forteresse occupé par des moines-soldats toujours prêts à défendre la terre d'Islam contre les Infidèles Ou les hérétiques et s'instruisant aux sources de l'orthodoxie la plus rigoureuse. Ces- m'rabtines savent, le cas échéant, devenir des réformateurs zélés et efficaces. Ceux qui, parmi les Lemtouna, avaient fondé un ribat près du Sénégal (ou dans une île du fleuve) furent à l'origine de l'empire Almoravide, qui leur doit son nom (Al-morabitin) au prix d'une hispanisation imposée par l'Histoire.

Lorsque l'Islam fut condamné à une politique "défensive, le ribat militaire protégea le littoral contre les incursions des Byzantins, puis des Francs et Normands de Sicile : certains, comme ceux de Sousse ou de Monastir, sont de véritables citadelles.

Dans les zones non menacées le ribat perdit son caractère militaire pour devenir le siège de religieux très respectés. Des confréries, qu'il serait exagéré d'assimiler aux ordres religieux chrétiens, s'organisent, à des époques plus récentes, en prenant appui sur des centres d'études religieuses, les zaouïa, qui sont1es héritiers des anciens ribats. Ce mouvement, souvent mêlé de mysticisme populaire, est lié au maraboutisme, autre mot dérivé aussi du ribat. Le maraboutisme contribua grandement à achever l'islamisation des campagnes, au prix de quelques concessions secondaires à des pratiques anté-islamiques qui n'entament pas la foi du croyant.

Infiniment plus dangereux pour l'orthodoxie sunnite avaient été dans les premiers siècles de l'Islam ces missionnaires kharedjites venus d'Orient qui, tout en répandant l'Islam dans les tribus surtout zénètes, séparèrent une partie des Berbères de l'orthodoxie musulmane. Si le schiisme kharedjite ensanglanta le Maghreb à plusieurs reprises, il eut le mérite de conserver à toutes les époques, la nôtre comprise, une force religieuse minoritaire mais exemplaire par la rigueur de sa foi et l'austérité de ses moeurs.

Autres missionnaires et grands voyageurs : les daï chargés de répandre la doctrine chiite. On sait le succès extraordinaire de l'un d'eux, Abou Adb Allah, chez les Ketama, qui fut à l'origine de l'empire fatimide. Il faut dire qu'en ces époques qui, en Europe comme en Afrique, nous paraissent condamnées à une vie concentrationnaire en raison de l'insécurité, les clercs voyagent beaucoup et fort loin, ils s'instruisent auprès des plus célèbres docteurs, se mettant délibérément à leur service jusqu'au jour où ils prennent conscience de leur savoir, de leur autorité et deviennent maîtres à leur tour, élaborant parfois une nouvelle doctrine. Ce fut, entre autres, l'histoire d'Ibn Toumert, fondateur du mouvement almohade. Antérieurement, Ibn Yasin avait joué le même rôle dans l'origine des Almoravides.

Il fut cependant des parties de la Berbérie où l'Islam ne pénétra que tardivement : non pas dans les groupes compacts des sédentaires montagnards qui, au contraire, jouèrent très vite un rôle important dans l'Islam maghrébin, comme les Ketama ou les Masmouda, mais chez les grands nomades du lointain Hoggar et du Sahara méridional. Il semble qu'il y eut chez les Touareg, si on en croit leur tradition, une islamisation très précoce, oeuvre des Sohaba (Compagnons du Prophète); mais cette islamisation, si elle n'est pas légendaire, n'eut guère de conséquence. A ces mêmes récits se rattache la présence d'Oqba au Fezzan avant même la fondation de Kairouan. L'idolâtrie subsista chez les Isabaten jusqu'à la conquête touareg. Des missionnaires, les 'anbiya, réintroduisirent l'Islam au Hoggar, sans grand succès. En fait la véritable islamisation ne semble guère antérieure au XVe siècle.

Il est même un pays berbérophone qui ne fut jamais islamisé : les îles Canaries dont les habitants primitifs, les Guanches, étaient restés païens au moment de 1a conquête hispano-normande, aux XIVe et XVe siècles.

LES MÉCANISMES DE L'ARABISATION

L'arabisation suivit d'autres voies, bien qu'elle fût préparée par l'obligation de prononcer en arabe les quelques phrases essentielles d'adhésion à l'Islam. Le Koran, révélation immédiate de Dieu à son Prophète, ne doit subir aucune altération, il ne peut donc être traduit, en conséquence la langue et l'écriture arabes sont sacralisées. Cette contrainte et cette obligation aura contribuèrent grandement à l'arabisation linguistique. Celle-ci fut, pendant la première période (XII-XI e siècles), essentiellement citadine. Un certain nombre de villes maghrébines, surtout sur le littoral, ont conservé une langue assez classique, souvenir de cette première arabisation, renforcée par l'afflux des Andalous chassés d'Espagne au XVe siècle, lesquels étaient le plus souvent des berbères totalement arabisés. L'arabe citadin, classique, fut cependant presque partout submergé par une autre forme plus populaire, rude et mêlée de termes berbères. Cet arabe dialectal, lui-même très divers, est, en fait, l'image linguistique de l'arabisation du Maghreb. Il est issu de la langue bédouine introduite au XIe siècle par les tribus hilaliennes car ce sont elles, en effet, qui ont véritablement arabisé une grande partie des Berbères.

C'est une étrange et à vrai dire assez merveilleuse histoire que cette transformation d'une population de plusieurs millions de Berbères par quelques dizaines de milliers de Bédouins. On ne saurait, en effet, exagérer l'importance numérique des Beni Hilal : quel que soit le nombre de ceux qui se croient leurs descendants, ils étaient, au moment de leur apparition en Ifriqiya et au Maghreb, tout au plus quelques dizaines de milliers. Les apports successifs des Beni Solaïm, puis des Mâqil, qui s'établirent dans le sud du Maroc, ne portèrent pas à plus de cent mille les individus de sang arabe qui pénétrèrent en Afrique du Nord au XIe siècle. Les Vandales, lorsqu'ils franchirent le détroit de Gibraltar pour débarquer sur les côtes d'Afrique en mai 429, étaient au nombre de 80000, ou le double si les chiffres de Victor de Vita ne portent que sur les hommes et les enfants de sexe mâle. C'est à dire que l'importance numérique des deux invasions est sensiblement équivalente. Or que reste-t-il de l'emprise vandale en Afrique deux siècles plus tard? Rien. La conquête byzantine a gommé purement et simplement la présence vandale, dont on rechercherait en vain les descendants ou ceux qui prétendaient en descendre. Considérons maintenant les conséquences de l'arrivée des Arabes hilaliens du XIe siècle: la Berbérie s'est en grande partie arabisée et les Etats du Maghreb se considèrent comme les Etats arabes.

Ce n'est bien entendu ni la puissance génétique des Beni Hilal ni une prétendue extermination des Berbères dans les plaines qui expliquent cette lente transformation.

Les tribus bédouines vont, en premier lieu, porter un nouveau coup à la vie sédentaire, par leurs déprédations et les menaces qu'elles font planer sur les campagnes ouvertes. Elles renforcent ainsi l'action dissolvante des nomades néoberbères qui avaient, dès le Ve siècle, pénétré en Africa et Numidie. Précurseurs des Hilaliens, les nomades zénètes furent facilement assimilés par ces nouveaux venus. Ainsi les contingents nomades arabes, qui parlaient la langue sacrée et en tiraient un grand prestige, loin d'être absorbés culturellement par la masse berbère nomade, l'attirèrent à eux et l'adoptèrent.

L'identité des genres de vie facilita la confusion. Il était tentant pour les nomades berbères de se dire aussi arabes et d'y gagner la considération et le statut de conquérants; voire de chérif, c'est-à-dire descendants du Prophète. L'assimilation était encore facilitée par une fiction juridique: lorqu'un groupe ou une fraction devient le client d'une famille arabe, il a le droit de prendre le nom de son patron, comme s'il s'agissait d'une sorte d'adoption collective. L'existence de pratiques analogues, chez les Berbères eux-mêmes, facilitait encore le processus.

L'arabisation gagna donc en premier lieu les tribus berbères nomades et particulièrement les Zénètes. Elle fut si complète qu'il ne subsiste plus, aujourd'hui, de dialectes Zénètes nomades; ceux qui ont encore une certaine vitalité sont parlés par des Zénètes fixés soit dans les montagnes (Ouarsenis) soit dans les oasis du Sahara septentrional (Mzab).

A la concordance des genres de vie, puissant facteur d'arabisation, s'ajoute le jeu politique des souverains berbères, qui n'hésitent pas à utiliser la mobilité et la force militaire des nouveaux venus contre leurs frères de race. Par la double pression des migrations pastorales et des actions guerrières accompagnées de pillages, d'incendies ou de simples chapardages, la marée nomade, qui désormais s'identifie pour la plus grande partie du Maghreb avec l'arabisme bédouin, s'étend sans cesse, gangrène les Etats, efface la vie sédentaire des plaines. Les régions berbérophones se réduisent à des îlots montagneux, A ces raisons d'ordre ethnosociologique s'ajoutent des modifications climatiques qui, à partir du VIIe siècle, favorisèrent le genre de vie pastoral et nomade aux dépens des agriculteurs sédentaires. ,

AFFIRMATIONS ET RÉALITÉS

Mais ce schéma est trop tranché pour être exact dans le détail. On ne peut faire subir une telle dichotomie à la réalité humaine du Maghreb. Les nomades ne sont pas tous arabisés: il subsiste de vastes régions parcourues par des nomades berbérophones. Tout le Sahara central et méridional, dans trois Etats, est contrôlé par eux. Dans le Sud marocain l'importante confédération des Aït 'Atta, centrée sur le Jbel Sarho, maintient un nomadisme berbère entre les groupes arabes du Tafilalet d'où est issue la dynastie chérifienne, et les nomades du Sahara occidental qui se disent descendre des tribus arabes Mâqil, aujourd'hui contrôlés par les Regueibat. Il faut également tenir compte des petits nomades de l'important groupe Braber du Moyen Atlas: Zaïan, Beni M'Guild, Aït Seghrouchen.


Inversement il ne faudrait pas imaginer que tous les Arabes sont exclusivement nomades; bien avant la période française, qui favorisa, ne serait-ce que par le rétablissement de la sécurité, l'agriculture et la vie sédentaire, des groupes arabophones menaient depuis des siècles une vie sédentaire autour des villes et dans les campagnes les plus reculées. Je citerai, parce qu'il est le plus exemplaire et qu'il se situe à l'opposé du schéma habituellement présenté, le cas des habitants de Petite Kabylie et de l'ensemble des massifs et moyennes montagnes littorales de l'Algérie orientale et du nord de la Tunisie. Tous ces montagnards et habitants des collines sont arabisés de longue date; cependant, vivant de la forêt, d'une agriculture proche du jardinage et de l'arboriculture, ils ont toujours mené une vie sédentaire appuyée sur l'élevage de bovins, Bien d'autres cas semblables dans le Rif oriental, l'Ouarsenis occidental, pourraient être cités.

Mais il n'empêche qu'aujourd'hui, hormis le Sahara, les zones berbérophones sont toutes des régions montagneuses, comme si celles-ci avaient servi de bastions et de refuges aux populations qui abandonnaient progressivement le plat pays aux nomades et semi-nomades, éleveurs de petit bétail, arabes ou arabisés. C'est la raison pour laquelle au XIXe siècle l'Afrique du Nord présentait de curieuses inversions de peuplement : montagnes et collines au sol pauvre, occupées par des agriculteurs, avaient des densités de population bien plus grandes que les plaines et grandes vallées, au sol riche, parcourues par de petits groupes d'éleveurs.

Des nomades restés berbérophones : les Touareg. Ici Touareg Kel Ahoggar séjournant dans les pâturages du Tamesna





Certains groupes montagnards sont si peu adaptés à la vie en montagne que leur origine semble devoir être recherchée ailleurs. Des détails vestimentaires et surtout l'ignorance de pratiques agricoles, telles que la culture en terrasse, dans l'Atlas tellien, amènent à penser que les montagnes ont été non seulement des bastions qui résistèrent à l'arabisation, mais qu'elles furent aussi de véritables refuges, dans lesquels se rassemblèrent les agriculteurs fuyant les plaines abandonnées aux déprédations des pasteurs nomades.

Si la culture en terrasse est inconnue chez les agriculteurs des montagnes telliennes (alors qu'elle est si répandue dans les autres pays et îles méditerranéens) elle est en revanche parfaitement maîtrisée, et certainement de toute antiquité, chez les Berbères de l'Atlas saharien et des chaînes voisines, Les plus belles terrasses se trouvent chez les Chleuh de l'Anti-Atlas (Maroc), mais dans les Monts des Ksour et dans l'Aurès (Algérie) ainsi que chez les Matmata (Tunisie), l'agriculture est normalement pratiquée sur terrasses soigneusement entretenues.

Quelles que soient leurs origines, les Berbères qui occupent les montagnes du Tell sont si nombreux sur un sol pauvre et restreint qu'ils sont contraints de s'expatrier. Ce phénomène, si important en Kabylie, n'est pas récent. Comme les Savoyards des XVIIle et XIXe siècles, les Kabyles se firent colporteurs ou se spécialisèrent, en ville, dans certains métiers: commerce de l'huile, maraîchage...

L'essor démographique consécutif à la colonisation provoqua l'arrivée massive des montagnards berbérophones dans les plaines mises en culture et dans les villes. Ce mouvement aurait pu entraîner une sorte de reconquête linguistique et culturelle aux dépens de l'arabe, or il n'en fut rien. Bien au contraire, le Berbère, qu'il soit Kabyle, Rifain, Chleuh ou Chaouia, arrivé en pays arabe, abandonne sa langue et souvent ses coutumes, tout en les retrouvant aisément lorsqu'il retourne au pays.

Comme les montagnes berbérophones continuent d'être le grand réservoir démographique de l'Algérie et du Maroc; on assiste à ce phénomène apparemment paradoxal: ces pays voient la part de sang arabe, déjà infime, se réduire à mesure qu'ils s'arabisent culturellement et linguistiquement.


Gabriel Camps
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Re: Kateb Yacine

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Re: Kateb Yacine

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Re: Kateb Yacine

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Re: Kateb Yacine

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Très intéressant ce débat Yacoub. Merci pour le partage.
J'ai beaucoup aimé l'intervention de Malika Sorel et je suis entièrement d'accord avec elle.
Je ne comprends pas bien pourquoi ton lien se nomme Kateb Yacine.
LES RAISONS DE MON DÉPART DÉFINITIF D'iSLAMLA :

Avant de vous forger une opinion défavorable sur ma personne, suite aux propos malveillants d'un membre mal intentionné, merci de bien vouloir prendre le temps de lire, même partiellement, le topic dont vous trouverez le lien ci-dessous :

cette-fois-vous-dis-vraiment-adieu-peux ... t8188.html
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Re: Kateb Yacine

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Re: Kateb Yacine

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Re: Kateb Yacine

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J'ai jaamais rien de lui je vais le lire il a l'air intéressant
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Re: Kateb Yacine

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Yacine Kateb (Kateb de son nom, Yacine de son prénom) est un écrivain algérien islamophobe, né à Condé Smendou, aujourd'hui Zighoud Youcef (Constantine), d'une famille chaoui de (Guelma), Algérie, le 2 août 1929, mort à Grenoble le 28 octobre 1989.

http://www.youtube.com/watch?v=9nUNqOXLomc&feature=g-vrec
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Re: Kateb Yacine

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Mohammed Al Ghazali, grand savant de l'islam égyptien, avait émis une fatwa contre Kateb Yacine pour éviter qu'il ne soit enterré en terre d'islam.

L’oppression de la femme se fait au nom de l'islam.

Sa sœur a vécu la polygamie de la part d'un mari féodal.

http://www.youtube.com/watch?v=a0WJajggv-I
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Re: Kateb Yacine

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