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Ce que dit le Coran #2 : la polygamie
Le livre sacré de l'islam limite la polygamie, autorisée d'abord pour protéger la veuve et l'orphelin. Même si la sensualité ne lui est pas étrangère…
Par Catherine Golliau
La polygamie est l'un des arguments massue utilisés les djihadistes pour recruter des troupes. Ah, s'offrir les câlins de quatre femmes (voire plus, si l'on compte les concubines), quel fantasme, surtout chez les Occidentaux pour qui islam rime encore souvent avec harem. Pour certains radicaux, elle est un droit divin, y compris sous la forme non reconnue, en islam sunnite, du « mariage temporaire » : on épouse pour une nuit, un mois, etc. Divin ? Oui, car c'est « écrit dans le Coran ». Mais que dit vraiment le livre sacré de l'islam, et dans quel contexte ?
Dans une culture bédouine où la polygamie est couramment pratiquée, le Coran en prend acte dans la sourate 4, verset 3. Mais il limite le nombre de femmes à 4 épouses et surtout impose au mari de les traiter de manière égale : « Si vous craignez d'être injustes envers les orphelins ou à l'égard de vos épouses, n'épousez que deux, trois ou quatre femmes parmi celles qui vous plaisent. Si vous craignez encore de n'être pas équitable, n'en prenez qu'une seule ou l'une de vos esclaves. Ce sera plus juste pour pouvoir subvenir à leurs besoins. » (4;3). Ce verset serait « descendu » après la bataille d'Ubud, qui avait entraîné de fortes pertes chez les musulmans. Les survivants auraient alors épousé les veuves et pris en charge les orphelins, la polygamie étant alors une espèce d'assistance sociale.
Une pratique limitée
D'après les témoignages sur sa vie (hadiths), le Prophète lui-même eut une dizaine de femmes. Seule Aïcha, épousée, selon la Tradition, quand elle avait cinq ans, était vierge lors des épousailles, le mariage ayant été consommé quatre ans plus tard. Les autres étaient veuves ou divorcées, et pour la plupart, ces mariages étaient pour lui un moyen de contracter des alliances.
Grand sensuel, Mahomet eut aussi des concubines. Mais les hadiths en témoignent, sa vie conjugale, entre criailleries et jalousies, ne fut pas simple. Il avait donc dû s'organiser, instituant de visiter chaque nuit une femme différente, chacune ayant sa propre habitation. L'un de ses plus mauvais souvenirs fut d'être surpris avec une concubine dans le lit de l'une de ses femmes légitimes. Ces dames se rebellèrent. Et Mahomet les priva de son corps pendant un mois... Les candidats doivent être avertis, l'amour à plusieurs est un exercice délicat.
Ce verset coranique aura cependant des conséquences néfastes pour les femmes en confortant l'inégalité entre les époux. Dans les faits, toutefois, la pratique de la polygamie en islam sera limitée, ne concernant que 5 % à 10 % des communautés, généralement dans les milieux très aisés et citadins, ou religieusement conservateurs. Les femmes d'un milieu social élevé pouvaient parfois exiger par contrat d'être libérées du lien conjugal si leurs époux souhaitaient une coépouse, ce qui équivalait à garantir un régime monogame.
Quant aux harems, s'ils ont bel et bien existé, ils étaient surtout peuplés de concubines et d'esclaves, sans compter les domestiques ; le chiffre maximal de quatre épouses officielles y était en général formellement respecté. Les sultans ottomans, notamment, pouvaient n'avoir aucune épouse en titre. Toute esclave devenant mère devait être affranchie.
Plus protecteur que la monogamie occidentale ?
Partant du principe probablement que les hommes sont, par nature, infidèles, l'islamologue Marshall Hodgson (1922-1968) a défendu l'idée que l'islam protège, grâce à la polygamie, toutes les femmes épousées ou mères de la même manière, et en accorde les mêmes droits aux enfants, alors que la société occidentale chrétienne a tendance à ne protéger que l'unique femme légitime et ses enfants, les autres étant souvent exclus des droits sociaux et de la succession.
Abolie en Turquie dès le début du XXe siècle, en Tunisie après l'indépendance, rendue plus difficile dans des pays comme l'Égypte où la femme peut imposer par contrat la monogamie, la polygamie continue d'être pratiquée dans de nombreux pays du Proche-Orient et d'Afrique subsaharienne. Daesh and co n'innovent donc pas. Ce qui est étonnant, toutefois, c'est que des jeunes occidentales puissent aujourd'hui se soumettre à cette pratique, voire la défendre...
Un guide de la pensée en islam
L'islam est-il une religion de la soumission ou de la liberté ? Le retour au VIIe siècle des Bédouins d'Arabie, prôné par les musulmans radicaux, est-il une obligation fondée sur le message coranique, ou une exigence conjoncturelle liée au rejet de l'Occident ? L'islam n'a jamais été « un », et parce qu'il n'existe pas d'autorité centralisatrice, nombreux sont les courants de pensée qui s'y expriment, et s'y opposent. Dans « Penser l'islam, hier et aujourd'hui », Le Point explique, en partant des textes fondamentaux, les principes qui ont dominé l'évolution de la pensée islamique, pourquoi les djihadistes se réclament de la Tradition, qui sont ceux qui, aujourd'hui, dans le respect de leur foi, luttent contre le salafisme et ses dérives.
« Penser l'islam, hier et aujourd'hui », sortie le 29 octobre, 120 pages, 7,5 euros